Dimanche 9 décembre 2012 :
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La rubrique dominicale de mon
blog, « l’info du dimanche », cette information locale, régionale ou nationale
glanée dans la presse et qui m’a fait bondir de colère ou de joie durant la
semaine.
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Le 14 septembre 2012, Le Monde
publie un article mettant en lumière la personnalité controversée de l’alpiniste
et ancien ministre Maurice HERZOG qui s’est éteint le 14 décembre dernier. C’est
cet article que je vous propose.
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C’est aussi l’occasion de
rappeler que Maurice HERZOG ne serait jamais arrivé au sommet sans l’aide de
celui que je considère comme le plus grand alpiniste français, Louis LACHENAL,
et que tout deux ne serait jamais redescendus vivant sans l’intervention de
Lionel TERRAY et Gaston REBUFFAT.
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« L’Annapurna 1950 »
a été une affaire de cordées et d’hommes et non l’œuvre d’un unique « conquérant »
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Bonne lecture !
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Maurice Herzog : la légende et
ses failles
LE MONDE SPORT ET FORME du 14 septembre 2012
Par Bruno Lesprit
Ce
n'est certes pas la première fois que la statue de Maurice Herzog vacille sur
ses cimes. Mais l'affaire prend aujourd'hui une ampleur de tragédie grecque en
raison de l'identité de l'iconoclaste : sa fille, Félicité, auteure d'un
premier roman, Un héros (Grasset, 304 p., 18 €), dont le vainqueur de
l'Annapurna n'est pourtant pas le personnage principal. Ce serait plutôt un
autre de ses enfants, Laurent, l'aîné schizophrène, victime sacrificielle d'un
héritage si encombrant qu'il peut détruire la descendance : l'épopée du
"premier 8 000", conquis le 3 juin 1950, cristallisée depuis autour
du "Moloch de l'Himalaya", qui paya de ses doigts et orteils le prix
de son exploit.
L'écho
médiatique a insisté sur les passages que la morale réprouve : le donjuanisme
d'un "cannibale du sexe", multipliant les conquêtes féminines après
celles des sommets, libidineux envers sa propre fille, alors que le gaullisme
avait érigé son "M. Sports" en modèle pour la jeunesse. L'essentiel
est ailleurs. "Le drame de mon père est l'incommunicabilité de son
expérience", écrit Félicité Herzog avant d'en préciser les raisons :
"C'est un hémiplégique de la sensibilité, sauf à l'égard de ceux qui ont
connu des amputations - les mêmes souffrances que lui. Pour sauver les apparences
d'une ascension de légende, il a réécrit l'histoire, trahi et négligé son
entourage sans jamais avoir le sentiment d'avoir fait mal puisque la société le
jugeait si bien."
"PEUT-ON SOULEVER UNE
TELLE MONTAGNE?"
Le
coup est rude. Règlement de comptes intime ? "On ne peut pas basculer de
mode héros à mode salaud", répond l'auteure. De fait, ce père est parfois
évoqué avec une tendre admiration : "Les cheveux poivrés, la mèche
peignée, le teint hâlé, la lèvre supérieure surlignée d'une fine moustache",
il "incarnait pour nous un être fabuleux". Plus loin, est décrit
"le jeu de ses mains belles, brunes et mutilées, tapotant impatiemment le
coude du fauteuil d'un de ses doigts reprisé comme un bas de laine par les
chirurgiens à son retour de l'Annapurna".
Ces
images sont précisément celles qu'a longtemps contemplées la principale
adversaire de Félicité Herzog, la mémoire collective. Depuis plus de soixante
ans, celle-ci refuse obstinément que l'on ose égratigner le grand
"Momo", en l'obligeant à se conformer à sa légende, quitte à
l'embellir. "Peut-on soulever une telle montagne ?, s'interroge sa fille.
On a l'impression de violer quelque chose de fondamental. Cette irréfutabilité
me semble avoir été un élément déclencheur de la maladie de mon frère."
Aujourd'hui âgé de 93 ans, Maurice Herzog n'est pas en mesure de réagir,
"alité et incapable d'être interviewé", nous a affirmé son épouse,
Elisabeth, qui ajoute qu'"il n'a pas percuté" à la lecture du livre.
FAITS DE RÉSISTANCE
Pourquoi
un roman ? Parce que ce serait la forme la plus appropriée pour répondre à un
best-seller publié par Arthaud en 1951 - avec l'exagération qui le caractérise,
Herzog revendique 20 millions d'exemplaires -, Annapurna, premier 8 000.
"Lui-même a accompli un travail de romancier, et c'est pour cela que ça a
marché, constate sa fille. Les dialogues sont reconstitués, comme les
explorateurs revenant de contrées lointaines le faisaient autrefois." La
photo de couverture avec Herzog brandissant un fanion tricolore au bout de son
piolet a fait le tour du monde en incarnant le sursaut national après
l'Occupation. La France se découvrait des héros. Herzog, en majesté. Avec Louis
Lachenal, il avait atteint le sommet, où lui était apparue sainte Thérèse
d'Avila. Chef de l'expédition, il avait été choisi par son ami Lucien Devies,
le tout-puissant patron de l'alpinisme français. Outre ses talents
d'organisateur, il avait à son actif des faits de résistance dans le massif du
Mont-Blanc. Et était employé de l'entreprise de pneumatiques Kléber-Colombes, qui
contribua au financement.
Ce
séducteur, comparé à Clark Gable, éloquent, mondain, affole les coeurs. Les
médias, à commencer par Paris Match, qui avait obtenu avec Arthaud
l'exclusivité, le glorifient en "une" au détriment de ses compagnons,
Louis Lachenal et Lionel Terray, pourtant la plus prestigieuse cordée de
l'époque, ou Gaston Rébuffat. "Oubliant délibérément la notion trop
abstraite de victoire d'équipe, afin de cristalliser l'intérêt des lecteurs sur
le personnage traditionnellement fabuleux du chef, les journaux élevèrent
Herzog au rang de héros national, les autres membres de l'expédition, Lachenal
compris, étant relégués dans des rôles de simples comparses", notera
Terray dans Les Conquérants de l'inutile (Gallimard, 1961).
FEUX DE LA RAMPE
L'expédition
avait quitté Orly le 30 mars 1950 dans une grande discrétion, le jour de la
mort de Léon Blum. A son retour déferle une vague spontanée
d'"annapurnisme". Les 100 000 premiers exemplaires du livre, épuisés
en un mois, ont été précédés par une série de conférences autour du
documentaire de Marcel Ichac, un des cinq autres protagonistes avec les
alpinistes Jean Couzy et Marcel Schatz, le médecin Jacques Oudot et le
diplomate Francis de Noyelle. Trois étaient programmées initialement Salle
Pleyel, à Paris. Il y en aura une trentaine et 600 dans toute la France. Le
pays s'émeut du martyre d'Herzog et Lachenal à la descente, une
course-poursuite pendant cinq semaines contre la mousson et les avalanches qui
traversent la jungle et les rizières.
Pendant
que ses compagnons retournent à leurs activités, Herzog ne quitte plus les feux
de la rampe. Porté à la présidence du Club alpin français, bardé de
distinctions, il peut rencontrer ses semblables, les grands de ce monde. Il
entre dans la famille gaulliste en 1958 en étant nommé, sur la recommandation
d'André Malraux, haut-commissaire (puis secrétaire d'Etat) à la jeunesse et aux
sports, un poste qu'il occupera pendant huit ans, avant d'être maire de
Chamonix de 1968 à 1977. Selon sa fille, son admiration pour le Général se
reportera plus tard sur Jean-Marie Le Pen.
ASTICOTS MONSTRUEUX
"Je
n'ai pas une très grande amitié pour Herzog, et ce sentiment est réciproque,
prévient d'emblée l'ancien président du Conseil constitutionnel et alpiniste
Pierre Mazeaud, qui dirigea l'expédition française victorieuse sur l'Everest en
1978. Il s'est souvent servi de sa souffrance, incontestable, pour sa carrière
politique et pour entrer ensuite dans les conseils d'administration. Sa vie
politique a été assez brève. Elu dans le Rhône en 1962, il a été battu. Avec le
mythe, il aurait pu être député à vie. S'il avait fait son boulot."
Herzog
ne ménage pourtant pas ses efforts pour entretenir son aura, ajoutant
régulièrement à sa geste des éléments accueillis dans l'incrédulité. Au fil de
ses Mémoires, on apprend que ce Prométhée a échappé lors du retour de
l'Annapurna à un "aigle d'envergure colossale" puis à un tigre. Il y
eut aussi l'anecdote des asticots monstrueux, libérés par le retrait de ses
bandages, qui bondirent et attaquèrent le personnel soignant. Tout pêcheur
niera que de telles bêtes puissent sauter...
Obsédé
par le film Elephant Man, il rêve de convaincre David Lynch de porter sa vie à
l'écran. La mythomanie se double logiquement d'une effarante mégalomanie :
"D'égal à égal, dorénavant, je dialoguais avec les 8 000, ces géants qui
m'entouraient", "Je me sentais l'élu de Dieu", etc. Le messie
assure qu'Annapurna, premier 8000 s'est temporairement mieux vendu que la Bible
dans le monde. "Mon père avait tendance à affabuler, raconte Félicité
Herzog. Enfant, je sentais qu'il trichait. Il a joué son rôle et s'est enfermé
dedans avec sa supériorité historique et sa tragédie personnelle, l'une
alimentant l'autre." A-t-il pu mentir sur tout ? Un héros ose briser le tabou
suprême - la réalité de la "victoire" - en imaginant "un pacte
inavouable" entre Herzog et Lachenal. Cette hypothèse avait été soulevée
en 2008 par l'écrivain et historien de l'alpinisme Yves Ballu dans un autre
roman, La Conjuration du Namche Barwa (Glénat).
"DÉPERSONNALISATION,
LÉGÈRE NAZIFICATION"
"Herzog
ne ment plus aujourd'hui. Il a fini par se persuader qu'il est ce qu'il croit
qu'il est, constate Yves Ballu. Il est intouchable après avoir sacrifié ses
mains et ses pieds à la France dans une expédition non seulement nationale,
mais nationaliste. C'était l'apogée et la fin de l'alpinisme colonial. Le
sommet signifiait la possession, la conquête. Herzog, parce qu'il était
parisien et les autres chamoniards, avait mesuré cet enjeu." Cocardier, il
n'était pourtant pas le seul. "Notre race si décriée avait donné au monde
le plus bel exemple de ses vertus immortelles", s'enflammera ainsi Terray.
Il
faudra attendre 1996 pour que deux livres écornent la légende. Gaston Rébuffat,
la montagne pour amie (Hoëbeke), d'Yves Ballu, révèle le malaise du guide.
"Ah, si Herzog, au lieu de perdre ses gants, avait perdu les drapeaux,
comme j'aurais été heureux !", s'écrie Rébuffat, qui évoque une
"dépersonnalisation, légère nazification" lors de la cérémonie
d'allégeance au chef de l'expédition et dénonce la "censure" exercée
par le Comité himalayen sur les écrits de l'Annapurna. Cette dernière
accusation est étayée par une nouvelle version des Carnets du vertige, de
Lachenal (Michel Guérin), publiés à l'origine en 1956, après la mort du guide
dans la Vallée blanche. Celle-ci rétablit les coupes pratiquées par Herzog, par
son frère Gérard - qui avait mis en forme Annapurna, premier 8 000 - et par
Lucien Devies. L'opposition entre le conquérant et l'alpiniste de métier - qui
y a perdu lui aussi ses pieds - prend une tournure dramatique, quand leurs
extrémités commencent à geler. "J'estimais que s'il continuait seul, il ne
reviendrait pas, écrit Lachenal. C'est pour lui et pour lui seul que je n'ai
pas fait demi-tour. Cette marche au sommet n'était pas une affaire de prestige
national. C'était une affaire de cordée."
"IL COMMANDAIT AU
CHARME"
Le
13 novembre 1996, Herzog réagit dans une lettre au Monde. Il affirme que
"tout a été dit dans le livre Annapurna, premier 8 000" et que ses
"compagnons d'expédition, y compris Louis Lachenal, ont approuvé son
contenu". Alors, "peu importent ces réécritures tardives et bien
mesquines au regard de cette victoire historique. Les faits sont là. Personne
ne les conteste".
La
polémique reprend pourtant de plus belle en 2000, lors du cinquantenaire de
l'expédition, avec la publication d'Annapurna, une affaire de cordée (Michel
Guérin), une enquête du journaliste américain David Roberts, désastreuse pour
Herzog. Pour la contre-offensive, le patriarche n'est guère aidé par son cercle
d'idolâtres. Dernière adhérente en date, Catherine de Baecque, ancienne
lanceuse de marteau, qui fut la première à dénoncer les agressions sexuelles
dans le sport de haut niveau, vole à son secours avec Maurice Herzog, le
survivant de l'Annapurna (Arthaud, 2011), une hagiographie digne de la
collection Harlequin. Pour sa défense, mieux vaut interroger l'autre dernier
survivant, Francis de Noyelle, 92 ans. "J'ai passé ma vie à être son
faire-valoir, mais c'est un grand bonhomme, se souvient l'officier de liaison pour
l'Annapurna. Il était l'âme de l'expédition. Comme Eisenhower, il commandait au
charme. Je n'ai rien à lui reprocher. Enfin, il avait tout de même calculé la
longueur des cordes pour que ce soit lui qui atteigne le sommet !"
"C'EST LUI QUI AVAIT LA FOI"
Sa
filleule, Marie-Laure Tanon, fille de Lucien Devies, lui reconnaît
"quantité de défauts", mais déplore que "démolir Herzog fasse
vendre aujourd'hui". "Le point commun de ces critiques est de
réécrire l'histoire de l'Annapurna à la lumière de ce qu'il est devenu ensuite,
analyse-t-elle. C'est une erreur classique et complète. Herzog a été un
remarquable chef d'expédition, il a maintenu l'unité de l'équipe alors que le
pari était limite. Personne n'aurait été surpris s'ils avaient échoué. C'est
lui qui avait la foi."
Lors
du cinquantenaire de l'expédition, l'écrivain et alpiniste Pierre Chapoutot
estimait pour sa part que "le récit de Maurice Herzog a lui-même désigné
les vrais héros : ce sont Terray et Rébuffat, sans qui les vainqueurs du sommet
n'auraient jamais survécu". Dans son roman, Félicité Herzog n'oublie pas
les sherpas et porteurs népalais, "compatissants mais magnanimes devant
cette punition somme toute divine", frappant "un homme qui s'était
pris pour un dieu".
Bruno
Lesprit
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